Proposition indécente
Il y a quelques jours, j'ai été contacté ici par une assistante d'une émission de télévision. Elle me disait rechercher des personnes "anonymes" intéressées par les questions de société ou par le domaine culturel et dont la prise de parole en public ne pose pas de problème. Comme ce blog est encore récent et qu'il ne contient guère de choses particulièrement dignes d'intérêt, j'étais intrigué par cette proposition et je l'ai appelée pour tenter d'en savoir un peu plus. La jeune femme au téléphone, au demeurant charmante, m'annonce qu'elle parcoure donc les blogs à la recherche de ces "anonymes" afin qu'ils viennent en plateau poser des questions aux invités. Les personnes retenues sont d'horizons divers et visiblement sont présents au titre uniquement de leur profession (un libraire, un boulanger, un prof, ou que sais-je encore). Ces "anonymes" peuvent donc, en fin d'émission, après avoir étés briefés sur les invités, poser une ou deux questions (le temps de parole est aussi précieux que le temps de cerveau disponible, c'est comme ça à la télévision - mais bon je vais pas trop critiquer, il s'agit d'une des rares émissions plutôt bien), questions qui, j'imagine, ne doivent pas trop porter au débat ou à la contradiction. Tout ça doit rester, somme toute assez consensuel, du gentil cirage de pompes quoi ! Je ne suis sans doute pas assez narcissique pour aller montrer ma gueule à la télévision, j'ai donc décliné l'offre qui m'était faite. Mais en fait, ce qui me déplait le plus dans cette démarche, c'est la permanente recherche de "vrais gens" à laquelle se livre les médias. La parole est donnée aux anonymes, aux citoyens, tous les médias nous demandent notre avis, nous sondent etc. Aussi, pour la stagiaire de l'emission en question, les blogs, c'est un réservoir de plus de "vrais gens", de vulgum pecus. Pourquoi pas ? Elle trouvera sans doute son quota de libraires, de profs, d'artisans sans problème parmi les blogueurs, en plus c'est à la mode. Ce qui m'ennuie profondemment, c'est cette démission des médias ou des politiques à créer le débat. En quoi suis-je légitime d'interroger telle ou telle personnalité en fin d'émission ? C'est pas le travail des journalistes, des chroniqueurs de faire ça ? N'oublions pas qu'évidemment, ce n'est pas payé, c'est déjà un insigne honneur que de parler dans le poste, alors faut pas pousser. Au delà de cette non-légitimité (que je me donne, certes), ce qu'il y a de plus détestable encore, c'est que finalement, ici, sur le net, et en particulier sur les blogs, est peut être en train de s'établir un espace de parole totalement libre et incontrôlable. Un espace où bien-sûr, il y a le pire et le meilleur, mais un espace où la pensée des auteurs est totalement libre (dans les limites de la loi, j'imagine que si je tenais ici des propos racistes, xénophobes, ou si je publiais des photos de gosses à poil, j'aurais immédiatement les flics au cul, et encore heureux) et que cette liberté là, elle fait sacrément flipper les médias et les politiques. Je ne dis pas que cette liberté soit particulièrement subversive (je ne pense pas que ce blog par exemple ait un jour un quelconque retentissement, ou soit en quelque sorte à l'origine ou à la continuation de tel ou tel courant de pensée), je crois que juste parce que c'est un espace pour le moment non-contrôlé, il devient par nature aux yeux des médias et des politiques, dérangeant. Aussi, est-il important pour eux de venir y mettre leur nez, de donner l'illusion qu'ils en sont, alors que justement le phénomène les a déjà dépassé. Sinon, pourquoi les partis politiques, les groupes de presse (de tous bords) lorgnent-ils tellement vers ce territoire et ouvrent des plateformes de blogs sur leurs sites, vont créer des agences ou des bureaux sur second-life etc... ? Cette marginalité qu'étaient les blogs il y a deux ou trois ans, s'est totalement démocratisé aujourd'hui, et, sans doute la peur que quelque chose s'y joue et leur échappe les pousse à en faire partie, soit pour le contrôler, soit pour l'analyser, soit tout simplement (et c'est par exemple le cas avec cette émission de télé) pour le récupérer. Et bien moi, non, j'ai pas envie de participer à cette récupération. Si j'ai envie d'avoir l'avis de "vrais gens", je vais leur demander, je parle à mon libraire, je lui fais confiance sur son métier, l'avis de mon boulanger m'importe, mais ce n'est que l'avis de mon boulanger, tout comme le mien. Ce que j'ai à dire, je le dis ici, quand j'ai des choses à dire, et surtout le le dis comme je veux le dire. Si j'ai besoin de faire un post de 10 pages je peux le faire, si j'ai envie de mettre juste une musique, ou un mot, c'est pareil, je le fais. Me lit qui veux, réagit qui veut. Ma parole, c'est presque tout ce que j'ai, elle m'appartient, je la donne comme je l'entends sans qu'elle soit orientée ou dirigée par les impératifs d'une mise en spectacle à la télé. Maintenant, si il veulent me donner une chronique régulière, payée, libre (et que je me sente capable de l'assurer) là c'est autre chose, c'est du travail. Ici, c'est pas du travail, c'est du JE. Et le JE, la première personne du singulier, le singulier, finalement, ça ne les intéresse pas, c'est pas vendeur coco !